vendredi 18 mai 2012

Vendredis intellos : prendre le parti d'un enfant

Cet après-midi là, à la ludothèque, deux enfants de 12 mois se rencontrent. L’un d’eux est mon fils. Sans encore jouer véritablement, les bébés prennent manifestement du plaisir à découvrir ensemble les lieux et gazouillent gaiement l’un à l’adresse de l’autre. L’autre mère et moi engageons la conversation. Tout d’un coup, le nouveau camarade de Minidoux attrape avec enthousiasme une mèche blonde de mon fils et tire dessus comme il le ferait avec une poupée. Minidoux grimace. Illico, la mère de l’autre bébé se jette sur son bambin et lui administre une violente fessée.
Sidérée par le traitement infligé au petit touche-à-tout, j’ai juste réussi à bredouiller quelque chose du style « ne le frappez pas, mon fils n’a rien du tout ». « Je sais qu’il le fait exprès », m’a répondu l’autre mère. Pour être franche, j’étais horrifiée de voir que l’on puisse frapper ainsi un enfant à l’aube de sa deuxième année sans paraître éprouver le moindre remord.

Lorsqu’on essaye d’éduquer ses enfants avec plus de bienveillance, il devient vite difficile d’assister à de telles scènes sans broncher. Bien trop souvent, au parc, au supermarché, dans les salles d’attente, nous assistons à de pénibles scènes.

 Reste qu’il est bien délicat d’intervenir, qui plus est de façon efficace.  C’est pourquoi j’ai apprécié cette découverte de l’extrait de la Véritable nature de l’enfant de Jan Hunt. Cet ouvrage consacre un chapitre à la façon de prendre le parti d’un enfant en public (même si j’avoue ne pas être inconditionnelle du reste du bouquin). Selon l’auteur, on hésite souvent à intervenir pour ne pas remettre en cause de façon blessante l’autorité des parents. Pourtant, si on se contente de passer son chemin, on signifie à l’enfant que sa détresse  n’a pas d’importance. En intervenant, on lui ouvre  au contraire une porte vers l’espoir, qui donnera peut-être un nouveau cours à sa vie. Pour Jan Hunt, pour maximiser ses chances de faire mouche, la clé est d’intervenir dans une intention bienveillante : porter de l’aide à l’enfant, mais aussi au parent qui se trouve en difficulté. Notamment, 4 pistes sont suggérées :
"1/ Nous devons montrer de l’empathie aux parents « c’est vraiment difficile avec un bambin qui a tant de choses à découvrir dans un magasin »
2/ Nous pouvons ensuite partager un souvenir de notre propre enfance « Je me souviens à 4 ans, mes parents m’ont vu prendre un jouet, mais je n’avais pas compris qu’il s’agissait d’un vol… »
3/ Puis nous pouvons nous tourner vers l’enfant avec empathie : « ce doit être effrayant de voir ton papa se fâcher comme cela ». On peut rajouter une phrase du type « c’est un chouette jouet, et ce doit être difficile de le laisser ici au magasin… »

4/ Enfin, on peut faire une suggestion : « mon enfant a trouvé cela très aidant de faire une liste de souhaits pour toutes les choses qu’on ne peut pas acheter tout de suite. Peut-être trouveriez-vous cela aidant également ». "
Pour Jan Hunt, il faut chercher ce que nous aimerions entendre si quelqu’un était témoin de notre énervement. Là j’avoue que les choses s’éclairent : Grand Doux a passé un hiver assez délicat et, pour la première fois, j’ai du gérer, avec plus ou moins de brio (plutôt moins que plus d’ailleurs), plusieurs « crises » dans divers lieux publics. Une seule fois mise à part, je n’ai guère croisé que les regards entendus de gens qui feignaient l’indifférence. Si de l’aide m’avait été offerte plus souvent, je ne l’aurais accueillie avec gratitude.

Reste que pour prendre le parti d’un enfant en public, il faut encore briser la règle implicite qui interdit de se mêler des affaires des autres. Pourtant lorsque quelqu’un souffre, et a fortiori lorsqu’il s’agit d’un enfant, c’est toute l’humanité qui devrait se sentir concernée. J’avoue intervenir assez rarement. Je ne crois pas que je parviendrai à proposer systématiquement mon aide : je garde la crainte de décupler la rage du parent. En outre, il faut quand même se sentir en forme moralement pour oser s’adresser gentiment à des inconnus à des stades plus ou moins avancés de pétage de plomb. Mais l’approche bienveillante proposée par cet extrait me donne envie d’en faire plus et d’abandonner les justifications habituelles de respect et de discrétion qui font que, trop souvent, nous laissons faire. Alors, chiche ?

12 commentaires:

  1. Oui c'est clair que ça fait peur une scène comme celle-ci. Je crois que j'aurais juste dit un "c'est pas grave, ne vous inquiétez pas". Je trouve cela délicat d'intervenir (sauf enfant réellement battu, j'appellerais la DDASS dans ce cas - sinon non assistance à personne en danger), chacun élève ses enfants comme il l'entend et je ne pense pas que remettre en cause l'autorité de la mère soit bon pour l'enfant non plus. Je le vois bien avec mes amis, nous avons des enfants du même âge et nous faisons différemment. Si je veux garder mes amis, je crois qu'il faut que chacun reste à sa place, je sens des malaises de temps en temps quand on compare nos façons de faire, pas la peine d'en rajouter.
    Il y a tellement de gens qui font des remarques tout le temps, pour tout et n'importe quoi, ça m'énerve tellement, que je me garde de faire la même chose. Je choisi une voie d'éducation pour mes enfants, peut être que je n'ai pas raison, et les autres ont le droit de faire différemment.

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    1. Je comprend bien ton point de vue. En fait, selon moi le propos de Jan Hunt n'est pas de critiquer les parents ni de remettre en cause leur autorité mais juste de manifester de l'empathie à l'égard de l'enfant et de ses parents. Comme le remarquait Mme Déjantée sur la page facebook des VI, le titre du billet peut porter à confusion (je l'ai repris du bouquin, non sans hésitations). Lorsqu'on assiste à certaines scènes, on est impliqué malgré soit, que l'on intervienne ou non. C'est vrai que je dois endurer moi aussi pas mal de remarques pas forcément très pertinentes mais je me console en me disant qu'en général l'intention des gens est bonne. En fait, je préfère une parole maladroite à un silence lourd de sous-entendus, mais c'est ma façon de voir, libre aux autres de ne pas la partager.

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  2. Comme commenté sur les vendredis Intellos, je pense qu'on peut parfois aider sans me semble t'il apporter le moindre jugement par rapport au mode d'éducation. Juste détendre un peu l'atmosphère suffit me semble-t'il à donner un petit coup de pouce.
    Déjà rien que se sentir le droit de rentrer en contact avec n'importe quel enfant en demande d'attention, c'est déjà un début.
    Apparemment certains parents voient ça comme une intrusion, je n'en ai cure, au contraire, les enfants doivent savoir qu'il existe aussi des gens ouverts et bienveillants et pas que des égoïstes et des prédateurs.

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    1. En effet, je trouve que le fait de vouloir aider n'est pas une condamnation de l'attitude du parent. Une petite attention peut parfois avoir de grands effets, en théorie. En pratique, il n'est pas facile d'avoir le tact nécessaire pour ne pas blesser tout en ayant la présence d'esprit pour prendre la bonne décision au bon moment. Je suis intervenue une fois vivement pour une élève "corrigée" dans le couloir de la maternelle par sa grand-mère, et par chance la personne l'a bien pris (il y a avait peut-être aussi la crainte de l'institution qui a joué, pour être honnête...). Dans d'autre cas, je suis restée tellement surprise que je n'ai rien dit du tout(je garde la souvenir d'un enfant de 6 ans traité d'espèce d'enc... par sa maman).

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  3. Je n'avais pas lu la scénette du coup sur les VI...

    pfff frapper un enfant de 12 mois, pour moi c'est déjà de la maltraitance, cela a des impacts sur le futur individu (il existe des articles scientifiques qui ont tranché le débat : http://www.oveo.org/index.php?option=com_content&view=article&id=24:les-consequences-des-chatiments-corporels&catid=38:consequences-de-la-veo&Itemid=52)

    Je trouve donc normal qu'un adulte choqué cherche à intervenir... frapper n'a rien à voir avec l'autorité, au contraire, c'est un aveu de manque d'autorité. Il y a 20 ans tout le monde disait : chacun frappe sa femme comme il l'entend, c'est de l'ordre du privé... cela a changé parce que la société a commencé à remplir son rôle : protéger les individus, quitte à s'immiscer dans la vie privée.
    Pourquoi les enfants ne seraient pas considérés comme des êtres humains, et protégés par la société (donc les gens autour notamment) quand le parent n'est plus protecteur? Tout comme les femmes l'ont été?

    Personnellement si j'ai des amis qui frappent leurs enfants (ou les insultent), ils risquent de ne plus rester longtemps mes amis... tout comme si j'apprenais qu'un de mes amis frappe sa femme ^^. Je n'ai pas envie de subir la violence chez mes amis, ni qu'elle soit montrée à mon fils. Je n'ai pas envie de fréquenter des gens qui règlent leurs conflits par la violence. Ce n'est pas que je m'estime meilleure ou quoi, simplement c'est juste pas possible pour moi de subir ce spectacle. D'ailleurs il m'est arrivé de dire en famille : "ok, vous faites ce que vous voulez avec vos enfants mais pas devant nous, ce n'est pas acceptable pour nous. Ou sinon on ne viendra plus." Parce que moi (comme beaucoup de parents) j'apprends à mon fils de 3 ans à ne pas frapper (ce qu'il réussit d'ailleurs pas trop mal sauf grosse colère), et j'estime que c'est incohérent pour lui de voir des adultes qui frappent pour résoudre les conflits, a fortiori s'il sait que j'estime les personnes.

    Sur comment intervenir, je trouve ton article très parlant et instructif, et comme commenté sur VI, je confirme que souvent cela peut aider de pratiquer l'empathie et l'écoute. Dans ta situation j'aurais été assez démunie car une fois que le mal a été fait, c'est dur de faire quoique ce soit pour moi car je suis souvent trop bouleversée par la violence. Je m'identifie trop à l'enfant, je suis en colère contre le parent du coup, donc pas possible de le soutenir, sans dire des choses maladroites. (et puis vu l'âge du bébé, pfff, je crois que là j'aurais vraiment été trop sur le c... moi aussi et j'aurais dit un truc du style "mais ça va pas, madame...?" - vraiment pas aidant ^^). Ceci dit ça me parait important de dire en public que nous ne sommes pas d'accord pour la violence, si c'est au-dela de notre limite ; bien des parents frappent parce qu'ils pensent que c'est ce que les autres adultes attendent.

    Je trouve aussi agaçant dans les conflits entre mon enfant et un autre enfant, pour ma part, que les autres parents interviennent souvent immédiatement sans leur laisser le temps de comprendre ce qu'il se passe (là le bébé aurait eu besoin de comprendre que quand on tire les cheveux, ça fait mal à l'autre), ou de trouver eux mêmes une solution. (bon, là ok il avait mal donc il y avait urgence en tout cas à faire lâcher la mèche de cheveux, mais souvent dès qu'il y a un conflit). Ils tranchent sur ce qui doit être fait ou non... (tu partages! tu laisses ça !) Voire interviennent alors que je fais une médiation et que c'est trop lent à leur gout (parce que dans la médiation on laisse le temps aux enfants de trouver leur propre solution).

    Merci pour ton article !!!

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    1. J'aime bien le parallèle que tu fais avec le fait de battre sa femme, effectivement celà touche la question du changement de mentalité que vit la société... On devrait aussi réfléchir au fait que curieusement les gens interviennent beaucoup plus facilement lorsque c'est un animal qui est maltraité. Effectivement, parfois la violence s'exprime de façon tellement brusque et inattendue qu'on n'arrive pas à envisager quoi que ce soit. C'est vrai aussi que j'ai observé que les parents frappent parce qu'ils pensent que c'est le comportement que l'entourage attend d'eux (à leur décharge, on nous serine sans arrêt qu'être un bon parent ce n'est que poser des limites et s'y tenir). Quand à la médiation entre enfants, il faudra que je m'y mette quand je reprendrai le boulot car ma façon habituelle de gérer les problèmes de cour de récréation n'est pas forcément brillante (et être deux adultes pour surveiller un centaine de gnomes n'arrange rien)!

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  4. Ton article me parle. J'ai prêté mon "J'ai tout essayé" de Filliozat à des amis qui m'avaient dit avoir recours à la fessée avec leur petit garçon de trois ans, qui traversait une crise de rébellion difficile. Encore auourd'hui j'ai faillit laisser une assiette pleine de paëlla, tellement j'ai eu du mal à accepter les propos d'un couple de ma belle-famille, ne détresse, face à un petit de 3 ans, très dur et demandeur d'attention depuis sa naissance. J'ai commencé à intervenir, tranquillement en posant quelques question, mais ai été interrompue par une autre sollicitation.
    Je n'en peux plus d'entendre ces discours, et ces besoins de justifier la fessée et autres comportements physiquement violents envers les enfants. Je comprends bien, parce que je le vis, qu'on peut se sentir dépasser par un gnome de 90cm, et qu'une fessée peut surgir par la faute de la fatigue, du manque de recul, de discernement. On est bien tous humains. Mais l'ériger en principe éducatif me met hors de moi. Merci de ce partage, qui peut vraiment être utile à tous.

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    1. Je comprend très bien qu'on puisse avoir un comportement limite sous le coup de l'émotion et de la fatigue puisque cela m'est aussi arrivé... Entre autres, je réalise que je souhaite parfois trop être une bonne mère au point de négliger mes propres besoins, et que j'accumule la frutration et la fatigue sans même m'en rendre compte. Parfois, on a juste besoin d'un peu de relais (vive l'école, les grands-mères, et la garderie !) Et puis, sortir de l'éducation qui nous imprègne est quand même un sacré travail. Merci pour ton commentaire.

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  5. J'aime bien cet article! Je ne sais pas non plus si j'oserais intervenir...
    En tout cas, dès qu'on s'interroge sur l'éducation, et qu'on est sur le principe de non-violence, certaines scènes paraissent juste affreuses, il faut bien le dire.
    Ca me fait réfléchir, et j'aime ça ;-)

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  6. Merci de ta réaction. Il y a en effet de quoi réfléchir, mais le sujet est passionnel !

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  7. Il est bien ton article :) C'est vrai qu'on ne sait jamais trop quoi faire des ces cas là, j'essaierai d'aider dans le futur, si je le peux!

    Je me souviens d'une fois où Miss B a fait une crise terrible chez le médecin (dans la salle d'attente) et comme j'avais Mamzelle B en porte bébé qui n'avait que quelques semaines, je ne pouvais physiquement pas forcer ma fille à rester assise ou à se relever (elle se tordait au sol en hurlant). J'étais tellement désemparée que toute aide aurait été la bienvenue! (Et je n'ai évidemment pas frappé ma fille).

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    1. J'ai vécu souvent la même situation... Deux à gérer, ce n'est pas toujours évident, du j'ai vite fait passer Minidoux en portage dos pour pouvoir libérer mes bras !

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