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vendredi 16 mars 2012

« Que vous êtes joli, que vous me semblez beau ! » : de l'usage du compliment (vendredis intellos)

User de compliments pour obtenir ce que l’on souhaite, comme le rusé renard de la fable de La Fontaine, peut sembler un moyen inoffensif et efficace d’orienter le comportement des enfants. Hélas,  Thomas Gordon, dans  Eduquer sans punir démontre qu’il n’en est rien. En effet, le compliment s’assimile à une récompense, pratique dont  l’efficacité éducative est douteuse (vous pouvez aller voir ici le billet de Home sweet Môme sur ce sujet).
Pour Thomas Gordon, lorsque les parents ou enseignants complimentent un enfant, ils ne recherchent pas son bien être, mais visent à modifier leur comportement. Par exemple, si je félicite mon fils pour la moindre production scolaire, je poursuis le but de l’amélioration de ses performances. Mais Grand Doux, pas idiot, percevra vite mon manque de sincérité si je fais mine de m’extasier devant ses exercices de graphisme…  
En outre, si je dis à un groupe-classe, « vous vous êtes bien tenus aujourd’hui », je sous-entends qu’il n’en est pas de même les autres jours : le compliment s’avère être un reproche déguisé.  J’ai d’ailleurs souvent constaté à mes dépens que ce genre de remarque, que j’avais  pourtant appris à l’IUFM, ne fonctionnait pas. En fait, selon Gordon « souvent manipulateur, le compliment  réflete un désir indirect et inexprimé de façonner ou de contrôler le comportement inacceptable de l’enfant en mettant un relief un comportement acceptable».  Pas étonnant que l’enfant y réagisse souvent violemment ( qui n’a pas connu un échange comme celui-ci  avec ses propres parents : « Tu es bien coiffée aujourd’hui » « Ben, merci pour les autres jours »).

La personne à qui on fait un compliment aura tendance à le rejeter si ce dernier ne correspond pas à sa propre évaluation. Par exemple si je dis à un enfant « le texte que tu as écrit est merveilleux», l’élève insatisfait de son travail aura l’impression que l’adulte ne l’écoute pas et nie ses sentiments. Personnellement, en ex-bonne élève, ce type de compliment m’a toujours agacé, car il ne réussit qu’à me donner le sentiment que l’on se fichait de moi, ou à me mettre la pression… En tout cas, je témoigne que ce n’est pas le genre de phrase qui aide à prendre confiance en soi. Au contraire, ce type de compliment inhibe la faculté de jugement : son destinataire est poussé à se comporter à l’aune de ce que les autres pensent de lui, en oubliant au passage ses propres sentiments. Le compliment se révèle infantilisant. Avec le recul, pas sûr que j’aurais entrepris des études doctorales qui m’ont ennuyée et ne m’ont pas menée à grand-chose, sans les éloges de ma famille et de mes professeurs…

Enfin, les compliments attisent la rivalité entre frères et sœurs. Vaallos en a déjà parlé ici  et autant dire que, chez nous,  nous n’avons pas besoin de cela…
Le compliment n’est donc pas si innocent et après avoir lu ce passage de Eduquer sans punir, il y a environ un an et demi, j’ai bien été tentée de jeter les compliments aux orties. Cependant, je me suis rendue compte que ces compliments manquaient au Grand Doux qui me demandait souvent mon avis sur ce qu’il faisait. Pour Gordon, le seul compliment acceptable est d’employer un « message-je», sincère et franc, mettant l’accent sur les propres sentiments de celui qui parle : par exemple, « je suis contente que tu aies nettoyé la table, cela m’épargne beaucoup de travail ».
 Je trouve quand même que la frontière entre admiration et "manipulation"n’est pas si aisée. Tout parent essaie d’influencer les comportements de ses enfants, mais je crois qu’il faut le faire en étant claire sur ses propres objectifs. Lorsque je fais certains compliments au Grand Doux, c’est aussi pour lui montrer une autre image de lui-même, lorsque nous avons  tendance à l’enfermer dans le rôle de l’enfant sensible et coléreux. Là, je ne crois pas être dans la manipulation. Il est sûr que l’objectif n’est pas que de lui exprimer ma seule admiration, comme je pourrais le faire en allant voir un artiste dans sa loge pour lui dire combien j’ai aimé sa prestation. . .
Dans la recherche du compliment qui fait mouche, c’est les conseils de Mmes Faber et Mazlish dans Ecouter pour que les enfants parlent, écouter pour que les enfants parlent qui m’aident le plus.

Selon ces deux auteurs, un compliment efficace comporte deux parties :
"- l’adulte décrit de façon admirative ce qu’il voit ou ce qu’il ressent
-          Après avoir entendu la description, l’enfant est alors capable de se faire un compliment à lui-même"
BD extraite d'Ecouter pour que les enfants parlent

Formulé de cette façon, un compliment va aider l’enfant à prendre conscience avec plaisir de ses capacités : il découvre qu’il peut ranger ses affaires, faire plaisir à quelqu’un, captiver un auditoire…  En quelque sorte, il remplit ses bagages d’émotions positives dans lesquelles il pourra puiser dans les moments plus difficiles. Pour les adultes, cela demande plus d’énergie que de lâcher un « Merveilleux mon chéri ! ». Avec la technique défendue dans « écouter pour que les enfants parlent », il faut faire sérieux efforts pour observer le comportement de l’enfant et décrire à la fois ses côtés positifs et les sentiments procurés. Il est également possible de donner à l’enfant l’adjectif qui résume son comportement.
BD écouter pour que les enfants parlent, Faber et Mazlish, compliment résumé en un mot



Chez nous, il faut bien avouer que nous avons l’habitude de d’abord voir ce qui ne va pas, et nous n’avons pas tendance au compliment facile. Le problème est aussi que, même en étant convaincue du bien fondé des approches types Faber et Mazlish, j’ai bien du mal à changer mes réflexes. Bon, comme le soulignent les auteurs, la communication n’est pas notre langue maternelle, nous la parlerons toujours avec un accent. Cette semaine, j’ai donc tenté de formuler autrement mes compliments au Grand Doux :
-          Samedi dernier, lorsque ton frère s’est cogné la tête contre la porte de l’ascenseur, tu as ramassé ses affaires pour que Papa et Maman puissent le soigner, c’est ce que j’appelle « avoir les bons réflexes»

-          La maîtresse a dit que tu ne te mettais jamais en colère en classe, même lorsque tu ne réussissais pas un travail comme tu l’aurais souhaité, c’est ce que j’appelle être maître de soi

-          Lorsque tu as vu que la cuisine était sale (euphémisme…), tu as proposé de toi-même de passer l’aspirateur, c’est ce que j’appelle savoir rendre service.

Voilà, je pense que Grand Doux apprécie qu’on s’adresse à lui de cette façon, même si pour l’instant, je ne l’ai pas encore entendu se formuler ses propres compliments.


Dans Parler pour que les enfants apprennent, je retiens aussi la phrase «soyez le coffre à trésor de leurs bons coups». Lorsqu’un enfant rencontre une difficulté, il est constructif de lui rappeler ses réussites de façon précise pour l’aider à reprendre confiance en lui. Je crois que je vais tenir un petit répertoire de ses « bons coups » qui nous laissent admiratifs ou tout simplement reconnaissants, pour lui relire dans les moments difficiles et l’aider à se dégager de l’image de l’enfant « à fleur de peau » que nous avons trop tendance à lui coller. Développer l’estime de soi demeure quand même un sacré défi, vous ne trouvez pas ?



PS : Je viens de voir que cette semaine, Maybeegreen a écrit un trés intéressant billet sur les processus d'apprentissage,  où elle rappelle trés justement les risques liés à l'habitude de féliciter nos  écoliers pour leurs résultats : je vous invite à lire ses réflexions par ici.

6 commentaires:

  1. Je me demande pourquoi ne pas dire tout simplement "merci d'avoir ramassé les affaires" ou "merci d'avoir passé l'aspirateur, cela nous a aidé car ...". Je crois que la formulation des phrases me dérangent elles sonnent "faux", car nous n'avons pas l'habitude de les formuler ainsi. Cela nous oblige a réfléchir, il n'y a pas de spontanéité. Cela me semble un exercice un peu difficile, pourquoi pas à tenter. Je me suis aussi déjà poser pas mal de question sur les compliments surtout lors des bricolages, avec le "c'est beau". Nous essayons de décrire au max ce que nous aimons dans leur dessin pour éviter de ne rester que sur un simple "c'est beau".

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    1. Je pense que le but est de mettre l'emphase sur le comportement qui nous plaît, ce qui n'empêche pas non plus de dire merci. C'est vrai que cela peut sonner faux : comme souvent d'ailleurs dans ce type d'approche, on est amené à formuler des phrases qui paraissent bizarres ! Pourtant, je crois que l'enfant appréciera du moment que l'intention est sincère. Effectivement, on perd un peu en spontanéité, c'est une nouvelle langue (rien n'oblige non plus à débiter du FM tout la journée !). Concernant les productions, je crois que tu es en plein dans l'approche dont je parle, i.e décrire précisemment sans se contenter d'un simple adjectif. Ceci dit, j'attaque juste mon "programme compliment", donc je te tiendrai au courant des effets éventuels dans quelques mois.

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    2. Tu nous diras comment avance ton expérience, et de mon côté je vais essayer une approche du compliment un peu différente, en essayant de décrire ce qui st positif. Tu l'utilises aussi en classe ? Tu as essayé ?

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  2. Merci pour le lien vers mon article ;)
    Ton article met de façon intéressante la difficulté que nous avons à exprimer nos ressentis de façon directe, car on nous a le plus souvent "enseigné" (l'entourage, les autres élèves lorsque nous étions nous-même enfants et ados) de façon généralement non explicite à ne pas les exprimer, voire à ne pas les montrer... Très dur alors d'être spontanés dans notre langage une fois qu'ils ne sont plus bébés, je trouve, et pourtant je suis une grande sensible, et fière de l'être depuis mes 18-19 ans , et donc pas du tout en refus de mes propres émotions ou de celles de mes proches, au contraire ! Mais le poids est encore fort, et parfois je me rends compte que je m'empêche d'exprimer mon ressenti... je ne sais si c'est l'expérience associative, qui apprend à tellement respecter les souhaits et chemins d'autrui qu'on en vient à faire tout le temps attention à comment on formule oralement nos pensées, de peur de froisser les bonnes volontés balbutiantes ou inconnues... Pourtant, avec ses propres enfants, cela devrait être toujours spontané ! Mais non, là encore, il faut désapprendre certains mauvais réflexes insidieux, dans une société où nous sommes cernés par les critiques mesquines et les remarques péjoratives à tout vent, à qui "casse" qui, il n'est pas facile de lutter à contre-courant dans le verbiage négatif pour montrer et vivre de façon un peu plus positive, optimiste, sans jaser sur ses voisins ou médire sur des gens qu'on ne connaît pas plus que ça, beaucoup trouve ça bizarre, moi je trouve ça normal... normal de prendre le bon dans la vie, car sinon à quoi bon? Mais question spontanéité du langage et même des gestes tendres, on ne nous facilite pas les choses...
    Ces livres sont tous intéressants, mais s'ils sont de super soutiens et pistes pour mieux apprendre à respecter nos enfants et nous-même quelque part, la difficulté est de rendre tout cela spontané... car les enfants sentent quand nous nous forçons à dire ou faire quelque chose... Pas facile!

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  3. Les compliments j'y pense souvent. J'ai tendance à complimenter les gens (et pas que mes enfants). Quand un truc me plait je le dis. Ça surprend souvent un peu ^^

    Pour ma fille, j'essaie de me forcer à aller au delà du c'est bien et à décrire ce qu'elle a fait de bien. Mais j'ai du mal à m'empêcher d'y donner un côté récompense. Parce que oui d'un certain côté on veut que les enfants comprennent que si on dit ça là maintenant c'est que le reste du temps ça ne va pas. Comme je fais souvent des compliments il n'y a pas tellement de reste du temps ,)
    Donc au final ça donne quelque chose comme 'Bravo Miss B! Tu as bien remis les jouets dans la caisse!'.

    J'ai les livres de F&M faut juste que je prenne le temps de les lire!

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    1. Je crois que c'est trés important de décrire, cela remplit le réservoir des qualités que l'enfant perçoit sur lui-même ! Tu es sur la bonne voie, c'est vrai que Faber et Mazlish ça ne se maîtrise pas en un jour (je suis en train de me renseigner pour suivre un cycle de rencontres/ateliers car chez nous il y a parfois loin de la théorie à la pratique).

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